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Sonalux
7 janvier 2013

Panser les blessures... ou se faire souffrir?

Dans la dernière livraison de SONALUX, Joseph Pirson évoquait un colloque «  Penser la blessure, panser les blessures ». Cela a suscité la réflexion de Michel Habran à propos du dolorisme et du mépris du corps qui révèlent l’image d’un Dieu pervers.

 

L’article de Joseph Pirson assure une brève recension des actes de ce colloque publiés aux éditions Médiaspaul. Reconnaître et refuser la(les) souffrances, notamment physiques, et y porter remède pour trouver des chemins d’humanisation étaient, entre autres, des thèmes présents lors de ce colloque. Comment ne pas s’en réjouir !

Joseph Pirson évoque aussi « le danger pour les catholiques de renouer avec le dolorisme (1) du passé et de revenir à l’exaltation de la souffrance(…) »

Compte tenu de l’évolution des mentalités et de la société occidentale, en ce XXIe siècle, il me semble que ce « danger-là » a peu de chance de refaire surface même si, çà et là, des expériences concrètes laissent encore déconcerté et effaré, comme par exemple le film dégoulinant d’hémoglobine réalisé par Mel Gibson sur la passion de Jésus ou des pénitents qui se flagellent à sang ou se laissent même crucifier, dans certains pays d’Amérique Latine ou aux Philippines.

Toutefois, des pratiques ou des conceptions passées, liées à une valorisation de la souffrance m’incitent à illustrer à quel point ce dolorisme a pu contaminer l’expression de foi en une espèce de masochisme (2) de très mauvais aloi. Les attitudes concrètes de violence exercée sur soi étant plutôt bien tolérées voire encouragées par les princes de l’Eglise et proposant les saints, familiers de ces habitudes, comme modèles. La plupart du temps elles étaient opérées pour extirper ou expier le désir ou l’acte du rapprochement sexuel humain, pour gagner le paradis et accéder à la rédemption en rachetant ses fautes et le péché originel ou pour, soi-disant, imiter les souffrances du Christ immolé sur la croix pour son père. Un peu comme si la souffrance était agréable à Dieu, revêtait une valeur positive et allait « sauver » le monde.

A cet égard, Marcel Neusch (3) citant L.Aschkénazi, note « qu’on a pu interpréter l’holocauste du peuple juif comme lié à sa vocation. Celle-ci inclurait la vocation à expier les péchés de l’humanité et à œuvrer par la souffrance, à la rédemption. Dès lors, plus terrible est le sort du peuple juif, plus grand est son mérite. La Shoa est ici comprise comme un sacrifice expiatoire »

Mais revenons aux illustrations. Un florilège :

-          Elle fut demandée en mariage par un grand nombre de prétendants illustres ; mais pour mieux résister à leurs poursuites, elle demanda et obtint du ciel la grâce de devenir aveugle. (Sainte Syre)

-          Après la mort de son époux et celle de ses deux enfants, elle entra dans l’ordre des Augustines. Là, elle fut beaucoup tourmentée par des tentations de la chair ; cependant elle surmonta les tentations. Pour les combattre, tantôt, elle plaçait son doigt dans une flamme, tantôt elle se couchait dans la neige et sur la glace, par les plus grands froids ; elle portait un habit de pénitence en fer et se flagellait trois fois par jour avec une chaîne. (La bienheureuse Rita de Cascia)

-          Lorsque les désirs de la chair nous excitent, nous devons considérer ce que deviendra notre chair quand nous serons morts : alors nous reconnaîtrons la vanité et le néant de ce que nous aimons. Car, pour mortifier les désirs de la chair, il n’y a pas de meilleur moyen que de penser que cette personne, qui est aimée d’un amour impur, a été créée dans la corruption. (Saint Grégoire le Grand)

-          Il eut un jour à lutter si énergiquement contre des tentations de la chair qu’il se rompit une artère et perdit beaucoup de sang. (Saint-François Xavier)

-          Il sentit une si furieuse tentation de la chair qu’il eut(…) l’adresse et le courage de se dépouiller et de se jeter nu dans un champ d’épines et de ronces, au milieu desquelles il se roula si longtemps que, par une infinité d’écorchures et de plaies, il fit sortir le sang de tous les endroits de son corps ; ainsi par la douleur sensible et par ces ruisseaux de sang, il éteignit l’ardeur que la concupiscence avait allumée dans ses membres. (Saint Benoît)

-          Sainte Colette avait prié Notre Seigneur de la faire participer aux douleurs de sa passion ; elle fut exaucée : elle resta 50 ans sous le poids des plus cruelles maladies qui redoublaient encore d’intensité aux fêtes les plus solennelles. Puisque c’est Dieu qui m’envoie son martyre, disait-elle, serai-je    assez malheureuse pour m’en plaindre ? Il est si bon, envers moi, il       a tant de soin de sa misérable servante. (…°)

-          Qu’importe où nous mourrons pourvu que ce soit dans les bras de Jésus. (Sainte Colette)

-          Il passa 16 années entières sans boire de vin excepté à l’autel et sans manger de chair. Il se nourrissait de gros pain d’orge ou de fèves, qu’il faisait moisir exprès afin de les trouver moins agréables. Il évitait le plaisir jusque dans l’eau qu’il buvait et en corrompait la saveur en y mêlant quelque liqueur aigre ou amère, en mémoire du vinaigre et du fiel dont on avait abreuvé son Sauveur sur le calvaire. (Le bienheureux Jean le Déchaussé)

-          Ludivine fut atteinte dès l’âge de 15 ans d’une multitude de maladies et d’infirmités qui ne firent que croître (…) elle connut tous les maux et sa patience elle-même lui valut d’être accusée de sorcellerie. Et cependant on ne l’entendait jamais que répéter ces paroles : « Ô mon doux Seigneur ! Augmentez mes souffrances ! Chétive créature que je suis ! Combien ce que j’endure est peu de chose, en comparaison de ce que vous avez souffert pour moi » (Sainte Ludivine)

-          Elle buvait avec délectation l’eau dans laquelle s’étaient lavés les lépreux : «  Un morceau de peau couverte de croûtes qui s’était dégagé des plaies des lépreux s’était égaré dans ma gorge. Au lieu de le cracher, je me donnai grande peine à l’avaler – et j’y réussis. Il me semblait que j’avais tout juste communié. Jamais je ne saurais décrire les joies qui inondaient mon âme. » (Sainte Angèle la Veuve)

-          Plus vos maux sont multipliés, vos douleurs aiguës et surtout votre maladie incurable, plus vous vous détacherez de tout et vous vous unirez à Lui : cette union sera intime, si vous souffrez en chrétien. (Abbé Roissard in La consolation du chrétien)

-          On doit travailler sans interruption : les ouvriers surtout, les gens à journée ne peuvent sans injustice dérober à leur maître une partie de leur travail. (Instruction de Toul)

-          L’état de pauvre est de lui-même et par lui-même un état de salut ; pour se sauver, il suffit que le pauvre se tienne dans son état. (Réguis, La voix du pasteur)

-          Entre tous les moyens que la Providence a mis à notre disposition pour ramener les âmes à lui, il en est un plus particulièrement béni que les autres : c’est celui qu’un pieux auteur appelle le travail à genoux.

-          Un père de l’Eglise a dit que les souffrances sont aux chrétiens ce que l’eau est aux poissons et que comme le poisson s’affaiblit et meurt quand il est hors de cet élément, de même le chrétien dégénère et se pervertit quand il est hors des souffrances. (Blanchard, Essay d’exhortations pour les états différents des malades) (4)

-          « J’ai dit un jour à une personne qui souffrait du cancer que c’était un baiser de Jésus. Le signe que vous arrivez si près de lui sur la croix qu’il peut vous embrasser » (Mère Teresa)

On reste quand même interloqués par autant de mépris pour le corps humain et de promotion de son avilissement par des pratiques qui datent, certes, d’un autre âge, mais qui laissent entrevoir une image d’un Dieu pervers qui invite à la perversion et au désir de la souffrance car elle Lui plaît. Absurdité ! A partir de l’aphorisme de Paul Ricœur « Faire le mal, c’est faire souffrir autrui » (5)pourquoi ne pourrait-on extrapoler : se faire souffrir soi-même c’était faire le mal aussi ?

Comment a-t-on pu en arriver là ? A cause de St-Augustin et de son élaboration de la doctrine du péché originel héréditaire par les générations ?

 

Michel HABRAN

 

 

(1)     Dolorisme : doctrine qui cherche non seulement à idéaliser la souffrance, à en faire l’éloge mais aussi à l’exalter et à la sacraliser d’une manière ou d’une autre. Serge Carfantan,  Philosophie et spiritualité, 2007  Leçon 158, Le sens de la souffrance.

(2)     Sacher MASOCH écrit : « je dévorais les légendes des saints et la lecture des tourments endurés par les martyrs me jetait dans un état fiévreux ». Il est le prototype de nombreux masochistes « Les saintes attachées, brûlées vives, les martyres ont été les premières images à provoquer chez moi des émotions érotiques »

Masochisme: Le masochisme est la recherche du plaisir dans la douleur. (Voir Encyclopédie WIKIPEDIA)

(3)   Marcel NEUSCH, L’énigme du mal, Bayard, Paris, pp 101et 102.

(4)     A l’exception du dernier item, un peu en retrait, l’ensemble des exemples cités dans ce texte sont extraits de : Gaston VOGEL, Le Vie des Saints, Editions Le Phare ; Esch-sur-Alzette. (lu)

(5)     Paul RICOEUR, Le mal, Un défi à la philosophie et à la théologie, Labor et Fides, Genève, p58

 

 

 

 

Le Levain propose 4 soirées animées par Dominique COLLIN, dominicain belge, sur le thème :

Entendre autrement les paraboles

 

  • Le 2/10 : Pourquoi Jésus parle-il en paraboles ?
  • Le 9/10 : Le Sénevé et Le Levain
  • Le 16/10 : Le fils perdu et retrouvé
  • Le 23/10 : Le possédé de Gérasa

 

Ces formations se donnent de 20 à 22h à l’institut Sainte-Julie à Marche-en-Famenne.

Rens. : 084/31.10.47

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                    

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