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Sonalux
13 juillet 2015

De quoi Dieu est-il le nom ? Une interview de

De quoi Dieu est-il le nom ?

 

Une interview de Jean SOLER.[i]

 

 

Qui est Jean SOLER ?

 

Professeur de lettres et intellectuel français, non croyant, Jean Soler a aussi été conseiller culturel de l'ambassade de France en Israël. Dans l'ensemble de ses ouvrages et de ses recherches, dont question  entre autres, dans l'interview  qui suit, il s'écarte résolument des interprétations canoniques traditionnelles des Assmann, Wenin, Ska, Rôhmer, etc... sur les documents de l'ancien testament. Il s'attache à l'étude des phénomènes de violence religieuse et examine l'influence du modèle biblique sur l'Occident "chrétien". Il les décèle dans des doctrines qui n'ont rien, en apparence, de religieux comme le marxisme et l'hitlérisme. Ses conclusions déclenchent parfois bien des polémiques et ses détracteurs ne le ménagent pas dans l'invective, voire la calomnie.

De son étude du monothéisme, Ilya Prigonine en dit ceci : " Je n'ai jamais vu de livre qui explique les différentes étapes ayant conduit au monothéisme d'une façon aussi originale et aussi documentée."           M.H

 

Le Jeudi:

« Vous décrivez "Qui est Dieu?" comme un récapitulatif, plus elliptique et plus incisif, de votre œuvre principale : la critique du monothéisme. Le livre précédent avait pour titre général "Aux origines du Dieu unique"; une recherche historique que vous avez subdivisée en trois volumes: "L'Invention du monothéisme" en 2002, "La Loi de Moïse" en 2003, "Vie et mort dans la Bible "en 2004. Pourquoi ce triptyque?»

 

Jean SOLER.:

« Le premier volume est relatif à la théologie des Hébreux, à leur métaphysique. J'explique comment ils sont passés du polythéisme au monothéisme, et pourquoi. Le seul fait d'intituler ce livre  L'Invention du Monothéisme laisse entendre que c'est un incroyant qui s'exprime. Je relève aussi les difficultés de la croyance en un seul dieu, une divinité manifestement masculine, décrite comme un père tout-puissant, quand il s'agit de donner un statut à la femme ou pour rendre compte du mal.

 

Le deuxième tome analyse la morale des Juifs de l'Antiquité. Leur éthique ne vise pas à l'universel, elle ne se soucie pas du destin de l'humanité. Elle constitue un remarquable dispositif destiné à assurer l'unité du peuple en vue de sa survie. J'examine ensuite l'articulation problématique entre la Loi biblique et la Loi talmudique, celle du judaïsme de notre ère. Je mets enfin en lumière la présence dans la Bible de deux livres hors-la-Loi, deux chefs d'œuvre subversifs par rapport à l'idéologie officielle, L'Ecclésiaste et le Cantique des Cantiques.

 

Quant au troisième volume, il analyse les comportements rituels des Hébreux, en ciblant mon étude sur l'usage symbolique de la nourriture dans les interdits alimentaires –mon premier travail, considéré aujourd'hui comme classique–, dans les jeûnes, domaine inexploré, et dans les sacrifices d’animaux offerts au dieu : ce sont, dit la Bible, son "aliment".

 

J'explique en quel sens il faut interpréter ce terme. Je n'écarte pas la question délicate du sacrifice. Il est nécessaire de l'élucider si l'on veut comprendre le dogme chrétien du «sacrifice du Christ» et le rite du «sacrifice de la messe». J’aurais pu intituler ma trilogie «Essaisd’anthropologie biblique». J’ai préféré «Aux origines du Dieu unique» parce que mon apport principal, à mes yeux, est d’avancer une hypothèse non confessionnelle et sans complaisance sur les raisons d’être de cette révolution culturelle qui devait connaître, par les hasards de l’histoire - la naissance du christianisme et plus tard de l’islam -, un avenir aussi extraordinaire qu’imprévisible.

 

Athènes et Jérusalem

 

Le Jeudi: «A ce triptyque s'ajoute un livre important, paru en 2009, portant l'explicite titre "La Violence monothéiste". Est-ce à dire que le monothéisme déboucherait fatalement sur l'extrémisme religieux, le fondamentalisme idéologique et l'intolérance philosophique? »

J. S.: Je ne pense pas que le monothéisme doive déboucher "fatalement" sur l'extrémisme et sur des actes de violence, mais qu'il a une pente qui y prédispose. Quand on est convaincu que la vérité est une et le bien un, comme le dieu unique qui se trouve à leur source, on est enclin à considérer que ceux qui professent d'autres croyances sont dans l'erreur ou qu'ils ne veulent pas reconnaître où est la vérité véritable et le vrai bien. Et par suite on peut estimer qu'on a le droit, pour certains c'est même un devoir, de les contraindre par divers moyens, dans leur propre intérêt, à abandonner leur voie mauvaise. Mais pour que cette pensée intolérante se traduise par des actes de violence, il faut que le religieux fasse alliance avec le politique.

C'est ce qui s'est passé quand le christianisme est devenu, après la conversion de l'empereur Constantin, au début du IVe siècle, la religion officielle de l'Empire romain.

 

Il en est ainsi, depuis Mahomet, chez les musulmans, comme chez les juifs d'Israël, aujourd'hui, ou chez les protestants fondamentalistes des Etats-Unis qui ont poussé Bush II, l'un des leurs, à déclencher une guerre contre l'Irak, pour répliquer à des attentats islamistes qui visaient les "croisés" américains, complices des "sionistes".

 

Tous ces événements se situent dans l'horizon du monothéisme. Rien d'équivalent ne se rencontre dans une civilisation polythéiste comme celle des Grecs. Il n'est pas question d'oublier les guerres entre cités grecques, mais aucune de ces guerres n'a été entreprise au nom d'un dieu, et aucune n'a revêtu le caractère totalitaire de la conquête de Canaan telle qu'elle est racontée sans le moindre remords par les rédacteurs de la Bible: comme un fait historique accompli pour obéir à l'ordre du dieu de massacrer tous les habitants des 30 cités conquises, sans épargner les vieillards, les femmes, les enfants ni même les animaux qui vivaient avec eux.

 

Dans La Violence monothéiste, j'ai comparé l'univers mental des deux peuples et j'ai brossé un "Parallèle entre Athènes et Jérusalem" que je crois éclairant pour l'une et l'autre culture.»

 

Communisme et nazisme

 

Le Jeudi: «Vous soutenez, dans "Qui est Dieu?", que le monothéisme aurait directement influencé, dans ses dérives les plus extrêmes, ce que vous considérez comme "les deux grands fléaux du siècle passé": le nazisme et le communisme. Qu'est-ce à dire?»

 

J. S.: «Le communisme et le nazisme, si l'on étudie leurs assises conceptuelles dans le Manifeste du Parti communiste de Marx et Mein Kampf d'Hitler –ce que j'ai fait dans La Violence monothéiste et résumé dans Qui est Dieu –, se révèlent tributaires de la vision du monde issue de la Bible hébraïque par le relais du christianisme. Sans pouvoir entrer dans trop de détails, je me contenterai de vous répondre que, pour les fondateurs des deux idéologies, il existe une vérité unique qui rend compte, elle seule, du sens de l'Histoire, et que ses tenants ont le devoir de la faire triompher en s'appuyant sur un parti, unique également, qui n'hésitera pas à recourir à la violence pour que l'humanité puisse accoucher d'une ère où tous les conflits seront abolis.

 

Cette vision moniste et messianique est tout à fait étrangère aux Grecs, pour qui la vérité est plurielle à l'égal du monde divin, pour qui l'Histoire n'a pas de sens déterminé, pour qui les libres débats démocratiques et la persuasion sont préférables à la contrainte, quand il s'agit de prendre des décisions dans l'intérêt d'une cité et non pas de l'humanité. Dans cette optique, le recours à la violence peut être un mal nécessaire, comme dans les guerres défensives face à l'invasion des Perses, ou une erreur tragique, comme dans la guerre d'Athènes contre Sparte, selon l'analyse qu'en fait Thucydide, son historien. La violence n'est un bien pour aucun penseur grec.»

 

Le Jeudi: «Il y a, dans Qui est Dieu?, une phrase qui a fait réagir très négativement, à votre propos, bon nombre de commentateurs, dont certains n'ont pas hésité à vous taxer d'"antisémitisme". Cette polémique assertion est la suivante: "Si le communisme selon le "Manifeste" est le modèle hébraïque auquel il ne manque que Dieu, j'ajouterai, au risque de passer pour un "antisémite notoire", que le nazisme selon "Mein Kampf" (1924) est le modèle hébraïque auquel il ne manque même pas Dieu." Pourriez-vous vous expliquer sur cette problématique, voire provocatrice, sentence, à partir du moment où Hitler même semblerait ainsi issu, à vous suivre, de Moïse? Moïse-Hitler: même combat, donc?»

 

J. S.: «"Moïse-Hitler: même combat", je récuse ce raccourci. Ce qui m'a frappé, quand j'ai découvert Mein Kampf, un livre dont toutle monde connaît le titre mais que personne ne lit, c'est qu'Hitler s'y présente en croyant, certes détaché du catholicisme dans lequel il a été élevé, mais persuadé que Dieu existe et qu'il a choisi autrefois les Juifs pour être son "peuple élu". La conviction qu'il exprime dans ce livre, qui sera appelé "la Bible du peuple allemand", c'est que les juifs ont failli à leur mission depuis qu'ils ont condamné à mort Jésus et qu'ils sont devenus un peuple apatride, matérialiste, complotant pour dominer le monde grâce à la finance internationale et à la doctrine du "juif Marx".

 

Pour Hitler, Dieu a désormais fait le choix d'un autre "peuple élu", celui des Allemands, et il est clair qu'il ambitionne d'être son "guide", comme Moïse a été celui des Juifs. Pour le nouveau "peuple élu", c'est une obligation impérative d'éliminer l'ancien, "car il ne peut y avoir, dit Hitler, deux peuples élus". Voilà ce qu'il faut lire derrière la citation de Mein Kampf qui m'a été beaucoup reprochée, comme si j'en étais l'auteur: "C'est pourquoi je crois agir selon l'esprit du Tout-Puissant, notre Créateur, car: En me défendant contre le Juif, je combats pour défendre l'œuvre du Seigneur."»

 

Moïse, ancêtre d'Hitler

 

Le Jeudi: «Ne voyez-vous pas là une paradoxale et dangereuse dérive idéologique à faire ainsi du judaïsme la préfiguration du nazisme, et de Moïse l'ancêtre d'Hitler, comme si le dieu des Juifs était l'inventeur du premier génocide de l'Histoire?»

 

J. S.: «Pour connaître mon point de vue, il suffit de lire le commentaire que je fais de la phrase d'Hitler: "Ainsi, c'est au nom du dieu des Juifs qu'Hitler a voulu écarter les Juifs de la route du peuple allemand!" Que ce soit délirant, vertigineux, sans aucun doute, mais refuser de voir jusqu'où a pu aller ce que j'appelle "la violence monothéiste" relève d'un aveuglement volontaire.

 

Le Jeudi: «Celui que les trois grandes religions monothéistes appellent "Dieu" ne serait, au départ, qu'une divinité parmi d'autres, au sein du monde antique juif, portant le nom de "Iahvé". Il s'agirait donc là du dieu national du seul peuple juif. Comment est-on passé alors, sur le plan généalogique, de ce dieu exclusiviste des juifs au dieu universel des chrétiens?»

 

J. S.: «Ce sont les premiers chrétiens qui ont voulu ouvrir la religion des Juifs aux autres peuples. Saül de Tarse, que nous appelons Paul ou saint Paul, Juif converti au christianisme, a dit et redit dans ses lettres pastorales que, s'il n'y a qu'un dieu, il est nécessairement le dieu de tous les hommes et non pas des seuls Juifs. Mais à partir du moment où le trône et l'autel ont fait alliance dans l'Empire romain, des préoccupations nationalistes ont pris le dessus. De même pour l'islam: les musulmans ont diffusé le monothéisme dans une vaste partie du monde, mais leur religion reste marquée par le peuple arabe qui l'a conçue. A vrai dire, je pense que l'idée de religion universelle est un leurre.

Est un leurre aussi l'idée d'une morale universelle. Il ne peut y avoir dans ce sens que des lois adoptées par une instance internationale, au nom des "droits de l'Homme", eux-mêmes en cours d'élaboration. Encore faudra-t-il trouver le moyen de faire appliquer ces lois par toutes les nations, ce qui suppose de restructurer complètement l'ONU, d'abroger le veto dont disposent certains pays, et de doter l'Organisation d'une force propre.

Pour plus tard, beaucoup plus tard, rêvons d'une laïcité au niveau mondial!»

Daniel Salvatore Schiffer

 

* Publié aux Editions de Fallois (Paris).Tous les ouvrages de Jean Soler consacrés à la critique du monothéisme sont publiés chez ce même éditeur.

 



[i] SONALUX doit à Mr Jacques HILLION, rédacteur en chef du journal "LE JEUDI"(1, Rue de l'Alzette, L-4011 ESCH/Alzette - www.le-jeudi.lu) l'autorisation de pouvoir reproduire cette interview de Jean Soler, réalisée par Daniel SALVATORE-SCHIFFER et publiée dans le journal du 03/09/2012.

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