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Sonalux
28 mars 2014

La diligence, le flacon et le parfum Qui n’a pas

La diligence, le flacon et le parfum

 

Qui n’a pas entendu parler de François Perin, l’auteur de ce conte, professeur émérite de droit public de l’Université de Liège, ancien ministre et leader du Rassemblement wallon, décédé l’an dernier ? Le texte ci-dessous a paru dans la Libre Belgique du 9 avril 1999. Il se termine par un PS : « Ceux qui reconnaîtront dans les personnages de ce conte Jean-Paul II, Mgr Léonard et l’abbé Ringlet n’ont qu’à s’en prendre à leur imagination. Croyez bien que je n’y suis pour rien. » (François Perin)

 

Il était une fois une diligence de facture très ancienne dont le délabrement relatif  inquiétait parfois ses cochers et ses voyageurs. Son propriétaire prétendait avoir le monopole du droit d’y véhiculer un flacon rempli d’un parfum mystérieux à l’arôme ineffable.

 

Propriétaire, cochers et voyageurs tenaient tous à la préservation de ce flacon. Mais ils se disputaient souvent, s’adressant mutuellement des reproches.

 

Certains voulaient conserver la diligence telle quelle et accusaient l’un ou l’autre cocher ou voyageur de proposer des aménagements qui risquaient d’en altérer gravement le style. Les avant-gardistes disaient carrément qu’il fallait mettre la diligence au musée et construire une autre toute neuve pourvue des derniers perfectionnements. Ces propositions scandalisaient et effrayaient la société propriétaire parce qu’elles impliquaient le transfert du précieux flacon avec le risque de le briser et de laisser s’évaporer dans la nature le parfum dont personne ne voulait se priver.

 

Certains cochers, routiniers et conservateurs, ne voulaient pas entendre parler d’une nouvelle diligence, à laquelle ils redoutaient ne pouvoir s’adapter et ainsi perdre leur emploi au profit de jeunes conducteurs.

 

Entre eux, les voyageurs ne s’entendaient pas mieux que les cochers. Les uns tenaient à leurs habitudes. Ils occupaient toujours les mêmes places, au point que leur arrière-train avait modelé la forme des vieux coussins rembourrés des banquettes. D’autres au contraire se plaignaient de l’inconfort du véhicule et des chocs provoqués par des essieux fatigués. La querelle des cochers n’arrangeait rien. En outre, leurs relations avec les voyageurs n’étaient pas toujours harmonieuses. Elles variaient avec le caractère des cochers. Les uns étaient aimables et souriants, estimant que leur devoir professionnel était d’être au service des voyageurs. D’autres, plus arrogants, traitaient les voyageurs comme des subordonnés et exigeaient d’eux une obéissance rigoureuse pour le motif que la turbulence de l’un ou l’autre pouvait faire verser la diligence. Certains cochers n’hésitaient pas à marquer leur autorité en faisant  descendre d’office un voyageur jugé trop indépendant. Plus habile, un cocher cachait mal sa morgue par un discours mielleux et démagogique. Bref, les controverses sur la diligence prenaient une telle ampleur qu’on en oubliait le parfum.

 

Un jour, il se trouva un poète disert et un peu farfelu qui s’avisa de demander de faire halte, de descendre dans une auberge ouverte à tous, y montrer le flacon et offrir à tout venant d’en respirer le parfum. Ce fut un beau tollé. On s’injuria ; on en vint aux mains. Les uns hurlaient qu’on allait tout perdre, que des inconnus allaient examiner le flacon et comparer le parfum à d’autres, que des maladroits pourraient casser la précieuse ampoule… bref qu’il valait mieux que cette dernière ne quitte jamais la diligence. De fil en aiguille, on en vint à penser que la berline était aussi précieuse que le flacon et que celui-ci était plus précieux encore que le parfum.

 

Ce trouble vint aux oreilles du conseil d’administration de la société propriétaire. À la tête de celle-ci, le président était élu à vie. Il y en eut de toutes sortes. L’un d’eux voulut moderniser la diligence, lui donner de plus larges fenêtres, des essieux plus souples, des portes plus aisées à ouvrir. Le président suivant freina la cadence et préféra repeindre la carrosserie à l’ancienne. On l’informa de l’initiative intempestive du poète. Fallait-il l’exclure de la liste des voyageurs, interdire à tous de fréquenter n’importe qui à l’auberge ? Un cocher suggéra qu’on lui demande à peine poliment de ne plus voyager sur une ligne de cette compagnie. Le poète répliqua vertement car il avait de l’impertinence. Il proclama qu’il s’obstinerait à voyager dans la berline rénovée ou non car la seule chose qui comptait pour lui était le parfum. Les choses en restèrent là.

 

En l’an 2000 et bien au-delà, les choses en restèrent toujours là, ce qui est naturel puisque ces tensions durent depuis des siècles. Mais la berline a tout de même été pourvue d’une moteur à explosion avec des roues à pneus.

 

NDLR

Publié dans le n°29 de sonalux du 25 juin 1999. Cherchez l’erreur à deux mois des élections de mai 2014.

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