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Sonalux
29 mars 2013

L’accueil de Michelle Martin Juste pour

L’accueil de Michelle Martin

Juste pour comprendre un peu…

 

Ce courrier a été envoyé aux clarisses de Malonne à l’occasion de leur accueil de Michelle Martin. L’auteur de cette lettre est une dame qui connaît, de par son expérience professionnelle quotidienne, la situation de femmes vivant dans une extrême détresse sociale. Sœur Christine a souhaité en communiquer un extrait dans le but d’aider à comprendre un peu…        

 

 

Sœurs, bien que j’imagine l’abondance du courrier qui vous est adressé en ce moment, je veux vous faire part de mon admiration et de ma gratitude.

 

Je dirige une maison d’accueil pour mamans accompagnées d’enfants… Cette mission d’hébergement s’adresse à des femmes issues de milieux très précarisés, victimes de violences familiales et conjugales. Ma profession m’amène à rencontrer des femmes parfois très fragiles, qui ont noué des liens toxiques avec des partenaires dits « peu fiables ». Malgré leurs conditions de vie catastrophiques, qu’elles savent nommer, elles ne parviennent pas forcément à se libérer de ces relations de dépendance entretenues pendant de longues années… En dépit d’une panoplie de programmes et d’accompagnements proposés par le secteur psychosocial, leurs prises de conscience du caractère néfaste de tels liens sont lentes, progressives et les retours volontaires vers les compagnons dangereux sont souvent observés par l’ensemble des professionnels qui les accompagnent.

 

L’ensemble des délits et crimes commis par Mme Michelle Martin il y a maintenant une vingtaine d’années, bien que gravissimes et ayant entraîné pour les victimes survivantes des effets qui les habiteront toute leur vie, méritent, me semble-t-il, d’être considérés à l’aune des seize années écoulées et de la punition endurée. Que les actes des hommes puissent être monstrueux est chose facilement vérifiable. Croire aux « monstres » m’apparaît plus contestable. Au-delà du « monstre » décrit par les média, il a existé une femme déchirée, sous influence et battue, sans doute terrorisée dans ses débuts de vie en milieu carcéral. Une femme qui aura finalement été obligée d’entamer un travail de prise de conscience et de reconstruction personnelle dont elle seule peut évaluer la portée.

 

Il me semble que, contrairement à ce qui est défendu dans la société actuelle, ces questions doivent échapper à la fameuse transparence dont on parle beaucoup : celle des pensées et des sentiments s’il s’agit de ceux des autres ! Elles relèvent plutôt de l’intime, qui a bien de la peine à subsister aujourd’hui dans notre monde où il est prévu que les moindres échanges, passions, sentiments, doutes et scènes de notre vie soient transmis au monde entier par la voie des fameux « réseaux sociaux » ! Par essence, les remords et les phrases que les instances judicaires et psychosociales se plaisent à entendre du coupable « échappent » aux autres, étant du domaine subjectif du ressenti émotionnel : derrière ces phrases il y a ce qu’il éprouve, le remord qui l’habite, le déni dans lequel il s’est réfugié, les excuses qu’il donne ou ne donne pas, etc. Cette adéquation profonde entre les mots prononcés par un coupable - ne le sommes-nous pas tous à différents degrés ? - et son ressenti émotionnel est affaire entre l’humain et le Dieu auquel il croit. Et même si l’humain en question se débrouille pour ne croire en aucun Dieu, il me semble qu’il n’échappe pas à ce désir d’un lieu secret avec une instance « au-dessus de lui », qui le protège, le connaît et l’absout. Et toutes les technologies des hommes de sciences, y compris des sciences dites humaines, n’ont pas encore pénétré ce secret…

 

Très éloignée des pratiques de mon enfance, je suis restée intéressée et attachée au message chrétien et, plus j’avance dans ma pratique professionnelle, plus il me semble que les contenus de ce message et de l’enseignement religieux qui m’a été dispensé ont contribué à m’enrichir et à me permettre d’exercer cette mission parfois éprouvante, et cela beaucoup plus que le cursus psychologique qui m’en a ouvert les portes.

 

Ce quotidien dans une collectivité de femmes qui sont toutes issues de milieux très défavorisés m’impose de ne pas les juger et aussi de tolérer parfois « l’apparemment incompréhensible ». Un vieux médecin généraliste qui a travaillé chez nous pendant vingt-cinq ans m’a un jour rappelé, alors que je me plaignais des incapacités des unes et de l’agressivité des autres, que « l’indifférence et la colère observées ne pouvaient s’envisager qu’en prenant la mesure de la blessure qui avait été infligée »… Sage parole que je m’efforce de retenir.

 

La décision prise par votre Communauté, abondamment décriée et incomprise, m’a renvoyée à certains passages des Evangiles que je trouve très beaux : « Seigneur, tu avais donc soif, et nous t’avons donné à boire ? Tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? Tu étais nu, et nous t’avons habillé ? Tu étais malade ou en prison… quand sommes-nous venus jusqu’à toi ? » Et le Roi leur répondra : « En vérité, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait au plus petit d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » Matthieu, 25, 36-40

 

A l’heure actuelle, cette femme qui, selon les lois en vigueur dans ce pays, bénéficie d’une mesure de libération conditionnelle, ne peut s’appuyer que sur une communauté qui a choisi de vivre en revendiquant ce type d’approche des être humains….

 

J’ai été très heureuse et soulagée pour votre communauté, d’apprendre au-delà des remous médiatiques et politiques, que Mme Martin, après seize ans de détention, se montre sensible à la douleur des autres, modérée, responsable et ayant développé une relation positive avec ses enfants. Sans doute possédait-t-elle déjà ces qualités dans cette « vie » précédente mais elle ne disposait pas des conditions qui lui permettaient d’utiliser ses ressources « dans la lumière ». Lorsque l’amour et l’addiction à un Autre délinquant se mêlent sur fond d’exclusion sociale, tout est mis en place pour installer de véritables ravages. C’est en cela que l’expérience de Michelle Martin n’est pas unique. Bien des femmes m’ont confié des histoires catastrophiques démarrées à partir de processus similaires… même si les conséquences du silence et du retrait de Michelle Martin ont eu des implications terribles et exceptionnelles. La femme des années 1990 devait être immensément seule, profondément triste et effrayée et uniquement « consolidée » par ce lien avec un homme violent et malade qui avait sans doute fait le vide autour d’elle tout en lui permettant, à travers des enfants, d’imaginer une « vie familiale normale» que son silence préservait.  

 

Il faut souligner le chemin accompli pendant sa détention grâce aux relations qu’elle est parvenue à créer avec des professionnels, des avocats, des amis et les membres de votre communauté, qui, par leur décision si décriée, ont permis cette sortie de détention. Je comprends que son « retour à la vie civile » avec un travail et un logement personnel apparaissent pour l’instant encore impossible mais je crois que la confiance reste essentielle et que la Vie le permettra… si cela est souhaitable.

 

Qui aurait pu penser, il y a quelques mois, que des gens du village parleraient avec Michelle, viendraient partager un repas avec elle ou l’inviteraient chez eux ? Aujourd’hui, on me dit que ces choses se réalisent lentement, « travail de fourmis » en quelque sorte…

 

J’ajoute encore ceci : en quoi le fait de ne pas croire au « monstre Michelle Martin » mais en « un humain » ne peut-il pas être dit ou doit l’être discrètement alors que les tenants de la thèse du « monstre » sont loin de rester discrets ?!...

 

Je vous prie de croire, sœurs, en toute ma considération,

                                                                                             

Vinciane Lenoir

 

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