Diriger à la lumière de l’évangile Y a-t-il une

Diriger à la lumière de l’évangile

Y a-t-il une manière de diriger –une entreprise, une organisation, une association- à la lumière de l’évangile ? C’est la question à laquelle ont voulu se confronter Michel Damar, ancien dirigeant d’institutions publiques comme la SNCB, et Joseph Pirson, sociologue et théologien, chercheur à l’UCL.

Qu’est-ce qui peut bien pousser un économiste, habitué au management de grandes institutions, et un théologien et sociologue, à se poser ce genre de question et à revisiter les évangiles pour y trouver réponse ?

Pour Michel Damar, ce projet est le résultat d’une double intuition.

« La première date d’une après-midi de juin 2009 dans l’église paroissiale de L’île-Rousse en Corse. Les églises ont souvent été pour moi des lieux de silence qui m’ont aidé à prendre des décisions importantes. Depuis un an, je suis en recherche d’une autre façon de vivre et d’autres points de repère que le seul espace professionnel. Et même dans mes activités professionnelles, ma « carte du monde » s’est moins centrée sur la gestion et plus sur l’aide à ceux qui ont cette responsabilité. Cette recherche m’a amené à découvrir des horizons, au carrefour du moi et du monde, dont je ne faisais que soupçonner l’existence. Le Tai Chin Chuan, le taoïsme, les écrits d’Eckhart Tolle sur le pouvoir du moment présent et l’emprise du mental et de l’ego, m’ont apporté un nouveau regard dans ma démarche. Et puis, dans cette église, m’est venue cette première intuition, qui peut être

aussi un message : redécouvre aussi les textes qui ont bercé ton éducation religieuse, jette sur eux un autre regard et approfondis-les à la lumière de ton expérience.

La seconde intuition en découle. Rentrant dans notre maison de Jeneffe-en-

Condroz, je trouve dans ma bibliothèque ce livre de Françoise Dolto, publié en 1977, et que j’avais à peine feuilleté : « L’Évangile au risque de la psychanalyse ». C’est en le lisant et en découvrant sa lecture de l’Évangile à la lumière de sa riche expérience professionnelle que j’ai eu l’idée de faire le chemin inverse : quel éclairage peut apporter l’Évangile sur le management d’aujourd’hui ? »

Sollicité par Michel Damar pour collaborer au projet, Joseph Pirson a eu une réaction mêlée d’enthousiasme à l’idée de collaborer avec un ami de longue date et de crainte de mélanger les genres. « Avec Michel je nourris la conviction de découvrir dans le message chrétien, plus précisément dans les évangiles, des ressources de sens non épuisées. Je suis également convaincu que les évangiles ne sont pas réservés à un public du sérail, ou à un petit groupe de personnes caractérisées comme bien pensantes : ils invitent à l’approfondissement de questions de sens et à l’usage de la raison large. Celle-ci se refuse à réduire la gestion des organisations à des problèmes techniques ou de simple gouvernance instrumentale. (…)La découverte d’expériences de vie en Amérique latine et, de manière très récente, à Madagascar, m’incite à présenter avec Michel quelques pistes qui, loin d’être réservées au monde chrétien, sont ouvertes à tous ceux et celles qui aujourd’hui tentent de construire du sens à travers des relations humaines justes, équitables et efficaces dans l’action collective organisée.

Quelques extraits du premier chapitre « Servir », donneront un avant-goût de cet essai (Diriger à la lumière de l’évangile, Michel Damar et Joseph Pirson, Lit Verlag, 2013). Ces réflexions commentent un extrait de l’évangile de Marc : « Jésus les appelle et leur dit: «Vous le savez: ceux que l'on regarde comme chefs des nations païennes commandent en maîtres; les grands leur font sentir leur  pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur. Celui qui veut être le premier sera l'esclave de tous: car le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude». (Mc 10)

Arrêtons-nous également un instant sur ce qu’implique le service en référence à la société toute entière: ce n’est pas uniquement notre environnement proche, mais la planète dans laquelle nous vivons. A ce propos, il n’y a pas de texte évangélique spécifique mais l’affirmation de la primauté du service et du souci de l’autre, en particulier des plus fragiles, à travers les évangiles, nous parait aller dans ce sens précis. Les défis environnementaux et énergétiques, les exigences d’une plus grande durabilité de l’activité économique et d’une plus grande équité dans les rapports marchands, font l’objet d’une prise de conscience et d’une mobilisation accrue. Les indignés qui ont manifesté dans les places au cœur de nos capitales, et qui restent toujours bien actifs, en sont le témoignage vivant.

En écrivant ces lignes, nous évoquerons cette phrase du Frère Roger de la

communauté de Taizé, tragiquement disparu il y a quelques années : «Avec mes frères, comment pourrions-nous vivre en Occident si certains d'entre nous ne se trouvaient pas au milieu des plus pauvres, dans les continents du sud ? Nous rappeler que certains de nos frères partagent des conditions de pauvreté stimule en nous un appel à la simplicité : être simples dans la vie quotidienne, dans la confiance que nous nous portons les uns aux autres. »

La référence à la société toute entière, c’est donc à la fois la prudence par rapport aux ressources naturelles disponibles et une attention aux générations futures. Les attentes de ces générations ne sont pas connues comme telles, mais on doit raisonnablement supposer qu’elles voudront trouver une terre pour satisfaire au moins leurs besoins primaires et s’y épanouir comme être humain. Par rapport à elles, l’exigence est de centrer notre attention de manière à adapter nos propres comportements.

Voici donc une des nombreuses pistes qui pourraient inspirer la réflexion de tous les dirigeants, que ce soit dans des petites associations, des entreprises ou des services d’Eglise.